La rééducation post lésions de poulies : protocole de remise en charge des doigts
Article rédigé par Julien Remillieux, kinésithérapeute du sport et de Chambéry Escalade
Cet article a pour but de vous présenter une proposition d’évolution ainsi que les différentes étapes de la rééducation des poulies, ainsi que les exercices associés. Bien entendu, chaque cas peut être différent et il reste conseillé d’avoir un suivi médical.
N’hésitez pas à parler de ces conseils et des exercices présentés dans cet article à votre kiné ou au professionnel médical qui vous suit, afin de confirmer si ces exercices sont indiqués dans votre cas.
Les exercices de la phase de remodelage peuvent aussi correspondre à des exercices pour un grimpeur débutant cherchant à augmenter progressivement la tolérance de ses doigts aux contraintes de l’escalade, et ainsi les renforcer.
Dans le cas d’une autre blessure vous forçant à un arrêt prolongé, mais vous permettant de travailler les doigts, vous pourriez aussi utiliser ces exercices car il est bon de maintenir une certaine sollicitation sur les doigts, et ce pour favoriser un retour à l’escalade dans de meilleures conditions.
D’ailleurs, nous parlerons ici principalement des contraintes sur les poulies, même si bien entendu il existe d’autres structures qui sont sollicitées, comme les tendons des muscles fléchisseurs et plus globalement la chaîne de traction du bras.
La lésion de poulie(s)
La lésion de poulie peut aller d’une simple irritation de la poulie à une distension en passant par la rupture complète. Une ou plusieurs poulies peuvent être concernées. Le plus couramment, il s’agit de la poulie A2 en regard de la première phalange, sur le doigt annulaire et bien souvent du coté non dominant.
Les poulies A2 et A4 sont les plus souvent lésées.
La blessure survient généralement sur des préhensions arquées ou lors d’une période d’efforts intenses sur les doigts, et encore plus lors de mouvements dynamiques.
Un « clac » peut être entendu lors d’une blessure aiguë, mais la lésion peut aussi apparaitre de manière progressive.
Si la lésion est assez importante, le doigt va gonfler et un hématome peut également apparaître. Dans l’immédiat il est intéressant de mettre du froid pour limiter la douleur et si cela est possible, de faire un bandage compressif sur le doigt lésé (par exemple avec du Coheban).
Pour limiter l’apparition d’un œdème important, évitez de laisser tout le temps pendre la main ou de l’avoir systématiquement dans la poche.
Dans la vie quotidienne, il peut être plus confortable d’attacher le doigt blessé avec un doigt voisin pendant les premiers jours.
Les examens à réaliser
L’échographie ou l’IRM sont les examens qui permettront de confirmer la lésion, le plus courant restant l’échographie car moins couteuse et nécessitant des délais d’attente de RDV plus courts.
IMPORTANT : Lors de la réalisation de l’échographie, le but est de mesurer la distance [os – tendon] en comparant lorsque le doigt est relâché et lors d’une contraction du doigt contre résistance. Il est donc primordial que l’examen soit fait de cette manière, sinon il n’a aucun intérêt !
Classiquement, une distance [os – tendon] de plus de 2 mm lors de la contraction est en faveur d’une rupture de poulie.
Ces durées sont indiquées à titre indicatives. Toutes les lésions sont différentes et différents facteurs (comme l’hygiène de vie par ex) peuvent favoriser une diminution ou une augmentation des délais.
La rééducation
Le schéma ci-dessous fait référence à une rupture de poulie non opérée. En dehors du cas d’une opération qui nécessite un repos initial complet, les différentes phases sont les mêmes peu importe le type de lésion de poulie(s), seul les délais varient ; de quelques semaines à plusieurs mois entre la blessure et le retour à une activité normale.
Phase 1 : La rééducation fonctionnelle
Repos :
Juste après la blessure et peu importe le stade, une phase de repos plus ou moins longue est souvent nécessaire. On parle ici d’un repos de manière globale. En effet, si vous êtes blessé au doigt, que vous faite une randonnée intense dès le lendemain et que s’ensuivent des grosses courbatures aux jambes, l’énergie dépensée par votre corps pour vos jambes sera de l’énergie en moins pour favoriser une bonne cicatrisation du doigt.
Identifier les facteurs qui ont amené à la blessure :
Il est important d’identifier ces facteurs, afin de limiter les risques de récidives.
- Manque de progressivité ?
- Fatigue accumulée et / ou manque de sommeil ?
- Mouvements répétés à haute intensité ?
- Ne pas avoir écouté certains signaux d’alerte ? Etc …
Mobilité :
Durant cette phase, on privilégiera un travail de mobilité du doigt, dont voici quelques exercices types :
Mouvement de glissement des tendons (« tendons glides »), passez d’une position à l’autre
Exercice du stylo, monter / descendre tous les doigts ensemble ou individuellement :
Vascularisation :
La vascularisation est importante pour favoriser la cicatrisation. Bouger le doigt contribue à celle-ci, le masser également. Vous pouvez utiliser des bagues d’acupression pour cela. Ces dernières peuvent aussi aider à réhabituer le doigt à la pression et lever une certaine appréhension.
Pour rappel, si vous fumez, le tabac aura un effet néfaste sur la vascularisation.
Ce qu’il faut éviter :
Le port de la bague doit permettre de maintenir la poulie plaquée contre l’os pendant la cicatrisation. En revanche, il faut tout de même éviter des ports de charges importantes qui risqueraient d’exercer trop de contraintes sur la cicatrisation. De même, l’ensemble des doigts ont un muscle commun, donc éviter la force maximale sur les autres doigts !
Des pressions importantes sur le doigt avec la bague sont également déconseillées, même si cela ne mets pas en contrainte la poulie, cela peut favoriser des douleurs et un état inflammatoire, comme lors de tractions sur une barre, de VTT de descente, etc..
Tout dépend de l’intensité mais de manière générale on doit privilégier une diminution de l’œdème et éviter de provoquer des douleurs incitant à prendre des antis douleurs ou à mettre régulièrement du froid.
Ce qu’il est possible de faire :
Selon ses besoins, il est intéressant de travailler d’autres aspects en lien avec l’escalade, comme la souplesse des membres supérieurs (y compris l’étirement des fléchisseurs des doigts) ou des membres inférieurs.
Il est également possible de faire du travail avec des élastiques sur certains exercices où vous n’avez pas besoin de tenir l’élastique en forçant dans la main (éventuellement le mettre au poignet).
Le gainage en appui sur les mains ou les pompes sont aussi possibles à partir du moment où elles ne provoquent pas de douleur.
Passage en phase 2 :
Dans le cas où une bague a été portée, il s’agit souvent du moment de retrait de cette dernière. Deux critères sont importants, on doit avoir récupéré l’amplitude complète du doigt (cf photo ci dessous) et ne plus avoir de gêne dans la vie quotidienne.
A ce stade, il n’est pas étonnant d’avoir encore quelques douleurs à la pression sur la poulie lésée. En revanche, si les deux critères ne sont pas acquis, l’avis d’un professionnel médical est conseillé avant de commencer la deuxième phase.
Phase 2 : la phase de remodelage
Durant cette phase, l’objectif est d’augmenter progressivement les contraintes sur les poulies, afin d’optimiser la cicatrisation et de favoriser un bon retour à l’activité.
Les principes de précautions restent les mêmes, le doigt ne doit pas gonfler de manière importante et systématique après les exercices, il ne doit pas y avoir de diminution de l’amplitude acquise ou de douleur persistante post exercice. Dans le cas contraire, diminuez la charge d’exercices avant de reprendre plus progressivement.
Il est intéressant de poursuivre les exercices de mobilité et de vascularisation pratiqués lors de la phase 1, notamment à l’échauffement.
Protocole statique :
Avant de reprendre l’escalade sur un mur, il est primordial de passer par une phase d’exercices pieds au sol.
Voici le protocole que j’applique le plus régulièrement :
- (7s main gauche, 7s main droite, 7s de repos) X 5 à 10 répétitions
- 2 à 3 séries avec 5 min de repos
- La force de traction doit être adaptée au ressenti.
- Il est possible d’aller jusqu’à une légère gène qui doit toutefois diminuer pendant la phase de repos entre les répétitions, et qui revient à l’état initial entre les séries.
- Cet exercice aura un intérêt à être réalisé régulièrement, 4 à 5 fois par semaine.
Commencez en préhension tendue en tirant seulement quelques kilos. Au fur et à mesure que vous sentez moins de douleur en étant capable de tirer plus fort, vous pouvez passer à des préhensions semi-arquées, puis arquées.
NB : les exercices peuvent être réalisés sur une balance à aiguille pour avoir une valeur plus précise de la traction exercée, et ainsi évaluer sa progression.
À défaut de pouvoir le vérifier avec un pèse personne ou une poutre connectée, vous devez sentir que vous êtes capable de tirer de plus en plus fort sur les préhensions, en passant progressivement sur des préhensions plus contraignantes (semi-arquée, arquée), sans que la gène augmente ou qu’une raideur apparaisse.
Strappal pendant les exercices ?
Non ! Il faut être à l’écoute de ses sensations pour que les tissus tolèrent progressivement la charge et ne pas comprimer la vascularisation. Tirer plus fort avec le strapp’ (car c’est souvent moins douloureux) n’aura aucun intérêt !
Reprise de l’escalade :
Elle intervient une fois que les exercices pieds aux sols sont de mieux en mieux tolérés :
- Dans un premier temps, privilégiez le travail de la gestuelle, du placement, afin de retrouver des sensations avec un travail technique.
- Commencez par de la dalle, mieux vaut tenir des petites prises en dalle avec presque tout le poids sur les pieds plutôt que des grosses prises en dévers où la pression sur les doigts (même des bacs) sera importante.
- Grimper en moulinette permettra bien souvent de limiter une crispation excessive qui peut être engendrée par l‘escalade en tête.
- Gardez en tête de ne pas forcer brusquement, comme par exemple si vous perdez l’adhérence des pieds. Donc pas de mouvements dynamiques et une escalade « lente » et contrôlée.
- Prenez de bons repos entre les voies, soyez progressifs en intensité, en durée de séance etc..
Strappal à la reprise ?
Bien qu’il soit parfois conseillé, je ne le conseille pas systématiquement dans ma pratique. Le risque est de vouloir forcer trop vite car on se sent trop confiant avec, ou de provoquer une compression excessive de la vascularisation alors que mécaniquement il y a peu d’effet protecteur. Il doit être utilisé intelligemment et adapté au cas par cas.
Ne le laissez pas au doigt trop longtemps pour rien et si vous en mettez, placez-le plutôt après avoir échauffé vos doigts !
Dans tous les cas, la technique de strapp’ à privilégier pour les lésions de poulies est la technique dite « en H ».
La force de contact :
Une fois que vous aurez bien progressé dans les exercices statiques, il sera judicieux de faire des exercices plus dynamiques, pour se rapprocher des contraintes rencontrées en escalade sur l’ensemble des mouvements plus rapides, avec une perte d’adhérence etc.
Pour ceci, reprenez simplement le premier exercice décrit, remplacez le temps en secondes par un nombre de traction (toujours les pieds au sol) avec une vitesse plus importante de mise en charge et un temps de tenue très court. On cherche ici à garder les doigts « gainés » et à limiter leur ouverture.
- (7X main gauche, 7X main droite, 7s de repos) X 5 à 10 répétitions
- 2 à 3 séries avec 5 min de repos
Attention, cela n’empêche pas de continuer en parallèle à faire des séries sur un protocole statique. Par exemple les deux premières séries en statique et la troisième en dynamique.
Evolution vers l’escalade sans restriction :
Passez de la dalle au dévers, de la préhension tendue vers l’arquée, d’une escalade lente à des mouvements plus rapides, de séances courtes avec des repos conséquents à des séances plus longues, plus rési etc… Tout cela en restant à l’écoute de ses sensations, en continuant à travailler la mobilité de vos tendons et en pratiquant des exercices statiques en échauffement.
Une gène ressentie lors de l’activité (ou à posteriori) peut être un premier indicateur d’une charge importante sur vos doigts qu’il ne faudra pas reproduire trop rapidement.
De même, vous pouvez palper vos doigts au niveau des phalanges.
Aucune douleur à la palpation avant de grimper et des douleurs après quelques mouvements plus intenses ? Pas d’inquiétude dans l’immédiat, mais veillez à ce que ça ne persiste pas dans le temps et que ça ne soit pas systématique.
Rappel important :
Les temps de cicatrisation peuvent un peu varier d’une personne à l’autre, chaque personne et chaque blessure sont un cas à part. La présence ou non de lésions associées ou encore l’hygiène de vie sont aussi des facteurs qui peuvent influencer ces délais.
D’une manière générale, dans le cas d’une douleur intense et brutale, ou dans le cas d’une douleur peu intense mais qui persiste malgré quelques jours de repos, n’hésitez pas à consulter un professionnel médical.
Julien Remillieux, kinésithérapeute du sport et de Chambéry Escalade
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