Alias, comment entrainer la force à doigts ?
Ici pas de mystère, la poutre va être votre meilleure amie. En bois (parce que la résine c’est moche, que ça abîme la peau et qu’il y a assez de plastique dans nos vies), installée dans un point central de votre maison ou appartement (l’avoir sous les yeux pour rester motivé⋅e et ne pas avoir à dégager des cartons poussiéreux pour y accéder lorsqu’elle est au fin fond de votre cave sont des points importants).
Avec un peu d’ingéniosité, de créativité (ou simplement une recherche internet…) tout le monde peut en fixer une, et ce partout (un exemple « sans clou ni vis »).
Autrement, un système de type « no-hang » fera parfaitement l’affaire et ne nécessitera pas d’attache spécifique.

Une poutre (aka fingerboard) est un outil spécifique dont le but est justement de travailler votre force à doigts. Même si d’autres systèmes existent (pan Güllich, system board, etc.), la poutre est sans discussion aucune l’un des meilleurs outils en matière de travail isométrique des fléchisseurs des doigts. De nombreux aspects peuvent y être soigneusement et précisément contrôlés afin de produire les effets escomptés (type de préhension, intensité, etc.).
Moyennant un certain degré d’attention (échauffement progressif entre-autres), les risques de blessures peuvent y être maîtrisés et donc minimisés. Enfin, c’est un outil relativement basique, facilement bricolable, petit et transportable. Cette spécificité et l’intensité de travail font qu’en 1h, échauffement compris, vous allez pouvoir réaliser une séance de qualité.
C’est donc un entrainement facilement réalisable chez soi.
Quel exercice choisir ?
Il existe une pléthore de possibilités pour développer votre force à doigts. Même si la majeure partie de ces exercices se font sur une poutre, on dénombre différents protocoles, certains bons, d’autres plus discutables. La question n’est pas vraiment de savoir quel est le meilleur protocole (chacun aura sa spécificité), mais plutôt d’en choisir un et de s’y tenir.
Les débutant⋅e⋅s (en escalade ou en poutre) doivent éviter de se lester (vos tendons ne sont pas prêts et risquent de ne pas supporter ces nouvelles sollicitations…). Si c’est votre cas, ne vous creusez pas trop la tête pour savoir quel protocole choisir, les stimuli étant nouveaux, vous allez bénéficier de n’importe quelle méthode.
Je vais présenter ici cinq grands types d’exercices (dont découle toute une flopée de variantes), certains clairement orientés force, d’autre plutôt force endurance (ou endurance de force). Vous pouvez considérer faire 2 séances par semaine en phase de développement (une séance par semaine suffira par la suite pour maintenir vos gains) avec un minimum de 48h entre chacune.
Note : 8″ = 8 secondes ≠ 8′ = 8 minutes
Le classique « Force Max »
Facile à mettre en place. Efficace.
Vous allez trouver la charge (lest) suffisante pour tenir 9-10″ une réglette de 14 à 20 mm. Mais vous n’allez vous suspendre que 7-8″, vous laissant ainsi une marge (les gains de force seront les mêmes qu’à 100% d’1RM, mais les risques de blessures seront moindres).
L’exercice consiste en 5 à 8 suspensions de 7-8″ avec au minimum 3′ de récupération entre chaque suspension.
En résumé : 5-8 X 7-8″ suspension, R.3′.
La méthode Eva Lopez
Une méthode intéressante pour celles et ceux qui cherchent un développement maximum de leur force à doigts, et ce via des adaptations neurales (« On n’a jamais trop de force » disait W. Güllich).
A déconseiller à quiconque est débutant⋅e et/ou a peu d’expérience d’entrainement sur poutre. A contrario vous n’entrainez qu’une préhension à la fois et par cycle (en règle générale en semi-arquée), ce qui peut être limitant…
Cette méthode est réservée aux grimpeurs⋅euses ayant déjà une forte expérience d’entrainement en force à doigts et un bon niveau (>8a en falaise).
Eva Lopez est une grimpeuse et chercheuse espagnole. J’apprécie considérablement son approche scientifique en matière d’entrainement. Elle propose un protocole complet qui combine suspensions lestées max et suspensions sur prises de taille minimum, le tout intégré à une planification sur 9 semaines.
L’intérêt est de développer votre force max pendant les 4 premières semaines. L’exercice sera toujours le même, d’intensité quasi maximum, seul le nombre de suspensions va varier. Viendra une semaine de transition et de repos, avant d’attaquer 4 autres semaines où cette fois-ci vous allez réduire la taille de la réglette (plutôt que de vous lester). Le but est de chercher à développer votre capacité à tenir des micro-prises mais aussi votre aptitude à générer le maximum de force le plus rapidement possible (adaptations neurales : recrutement d’un maximum de fibres musculaires par exemple).
En pratique, vous allez vous lester les 4 premières semaines. Lors de chaque séance, vous allez chercher à trouver la charge vous permettant de tenir la préhension 14″ au maximum. Mais vous n’allez vous suspendre que 10″ (voir : « Effort Level »).
Les 4 dernières semaines (semaine 6 à 9), vous allez réduire la taille de la prise, faisant en sorte d’être capable de la tenir entre 9 et 11″. Mais comme précédemment, vous n’allez vous suspendre que 8″. Pour ce faire, vous pouvez fabriquer / acheter des réglettes type « micro » (6/8/10 mm) ou tout simplement utiliser des lamelles de carton pour « bourrer » la préhension utilisée sur votre poutre, et donc réduire sa taille (méthode du pauvre testée et approuvée).
Un lien vers l’étude d’Eva Lopez qui a préfiguré ce protocole :
« Comparison of the Effects of Three Hangboard Training Programs on Maximal Finger Strength in Rock Climbers », E. López-Rivera & J. J. González-Badillo, 2016. et sur son blog.
Les suspensions intermittentes (alias « repeaters »)
Très populaire, on en trouve plusieurs variantes, notamment celle des frères Anderson (voir leur bible « The Rock Climbing Training Manual » aux éd. Fixed Pin). En cherchant à reproduire le processus de contraction / relâchement observé lors de l’escalade, ce protocole s’adresse plutôt aux falaisistes car il est plutôt orienté force-endurance.
Observez un cycle de 8 semaines minimum (López-Rivera, E., and González-Badillo, J.J. (2016), « Comparison of the Effects of Three Hangboard Training Programs on Maximal Finger Strength in Rock Climbers »). Ici, on vise davantage des adaptations structurelles (hypertrophie, utilisation du glycogène etc.) que des adaptations neurales.
Choisissez 3 à 7 préhensions différentes (pensez aux bi-doigts, aux bi’s pistolet, aux pinces etc.).
Chaque série se compose de 6 suspensions (de la même préhension) de 7″ chacune, suivies par 3″ de repos.
Une série équivaut donc à une minute (faites vous-même le calcul…). Si nécessaire, lestez-vous afin que chaque série soit suffisamment difficile mais réalisable.
A la fin, reposez-vous 3′, puis recommencez avec une autre préhension, et ainsi de suite, jusqu’à avoir réaliser l’exercice pour chaque préhension choisie. Ceci équivaut à un « set ».
Les grimpeurs⋅euses les plus expérimenté⋅e⋅s peuvent réaliser jusqu’à 3 sets (donc 3 fois l’intégralité des séries), en prenant 12 à 15 min de repos entre les sets.
Donc (3-7X) 6X 7″ suspension, R.3″ – (R.3′) X 1-3 R. 12-15′
La méthode Horst « 7-53 »
Cette méthode cherche à développer la force maximum et à favoriser la puissance aérobie (en stimulant la resynthèse de l’ATP-CP du système anaérobie alactique), en utilisant des repos qui ne sont pas complets (53″). C’est donc un entre deux très intéressant
En pratique, suspendez-vous 7″ (sur une préhension suffisamment petite ou en vous lestant afin de pouvoir tenir 10″ au maximum), puis reposez-vous 53″. Répétez cela deux fois. Reposez-vous 3′ à 5′, puis recommencez une autre série sur une autre préhension (une bonne base est de faire une série en tendu pour commencer et une série en semi-arqué ensuite). Et ainsi de suite jusqu’à 5 séries au maximum (prenez alors de longs temps de repos entre les séries, plutôt 5′).
(2-5X) 3X 7″ suspension, R.53″– (R. 3′ à 5′)
crédit : « Training for climbing: the definitive guide to improving your performance » de E. Hörst, éd. Falcon, 2016.
Les « recruitements pulls » en overcoming isometrics
Ici, au contraire d’un travail classique sur poutre, vous allez utiliser un « no-hang » (même si cela peut aussi très bien fonctionner avec une poutre, fixe ou portable, classique).
Concernant la position à adopter, vous disposez de deux possibilités. En effet, il n’est pas nécessaire d’avoir du poids (lest) au bout de votre no-hang ou attaché à votre corps comme pour des suspensions lestées, car il suffit juste de maintenir le no-hang bloqué au-dessus de votre tête, ou ancré au sol.
C’est un des avantages de cette méthode : sa simplicité.

Le principe de ce protocole est une contraction isométrique active de type overcoming : les doigts tentent de se fléchir contre une résistance fixe, et le muscle va produire de la force sans déplacement articulaire. Avec cette modalité de travail, votre force sera donc générée depuis vos doigts en direction d’une surface immobile (le no-hang ou la poutre).
Lorsque le muscle résiste à une charge externe qui cherche à l’allonger, comme lors d’une suspension lestée par ex., on parle de yielding isometrics. La tension provenant de cette « lutte » contre l’étirement, entraînant une forte fatigue mécanique et métabolique (accumulation de calcium, charge excentrique, micro-traumatismes).
Ici, nous allons nous intéresser spécifiquement à la modalité « overcoming isometric » : le muscle va pousser/serrer contre un support immobile. Il n’y aura donc ni déplacement, ni étirement tissulaire.
En l’absence d’étirement significatif des tissus, on observera moins d’accumulation d’ions calcium, pas de charge excentrique et donc un stress métabolique et musculaire réduit. Cerise sur le gâteau, cela permettra une récupération plus rapide tout en ouvrant la possibilité d’intégrer ce protocole avant d’autres séances qualitatives, ou en fin d’échauffement.
En pratique :
- Intensité élevé, après un échauffement croissant
- 3 » – 5 » « action de flexion des doigts » à effort max à une main, pieds au sol
- peu importe qu’il soit impossible de se suspendre : l’essentiel est l’intensité en essayant de générer le maximum de force possible.
- cela ne change rien que la poutre soit au-dessus de vous ou que vous souleviez des poids depuis le sol.
- ⚠ Vous ne voulez pas faire comme si vous vouliez « arracher » la poutre (action de tirage bras avec les doigts verrouillés), mais vous voulez avoir l’intention de fermer vos doigts (comme si vous vouliez faire une « traction de doigts » et vous soulever = overcoming isometrics).
- Debout, trouvez une position où votre bras est presque tendu (épaule engagée) et vos doigts détendus, mais déjà en position de semi-arqué. Maintenant, fléchissez vos doigts aussi fort que possible.
Si vous faites cela avec la poutre / no-hang au-dessus de votre tête, démarrez avec le coude à 120-150° si votre poutre / no-hang est au-dessus de votre tête. - Dans les faits, votre intention est de réaliser une flexion active des doigts, mais ceux-ci ne vont pas bouger, ou alors d’un dixième de millimètre.
- Exemple vidéo ici
- Votre force sera générée de manière croissante et non rapide : mise en place (1-2 ») puis « suspension » (= action de flexion des doigts) d’une durée de 3-5 », quelques secondes de repos, et ainsi de suite
- soit : ( « action de tirage » de 3-5 » / relâcher 3-5 » ) X 3 à 5 répétitions = une série
- chercher à développer environ 85% de votre force max / RPE 8-9/10 (au feeling ; ce qui veut dire que vous allez quand même « tirer » très très fort).
- entre 3 et 5 séries avec 2 à 3 min entre les séries. S’arrêter dès que vous n’arrivez plus à atteindre les 85 % avec facilité.
- vous pouvez aussi utiliser un capteur de force (type Tindeq) pour quantifier la charge : un des intérêts étant de connaitre votre état de fraîcheur. En effet, si en fin d’échauffement vous n’arrivez pas à atteindre 90 % du max de vos dernières séances, c’est que vous êtes trop fatigué·e. Si c’est le cas, arrêtez-vous ici et faites la séance plus tard, une fois reposé·e.
