Petit essai pour tenter de répondre aux questions concernant la technique pour les débutants, via des exercices concrets. Cela dit, cet article ne s’adresse pas qu’aux débutants…
Pourquoi, à la différence de tous les autres sites internet, ne donnons-nous pas de conseils techniques aux débutants ?
Nombreuses sont les personnes qui nous ont demandées pourquoi nous ne proposions pas d’exercices pour aider les novices à progresser sur le plan technique et gestuel.
En escalade comme dans toutes les activités, nos processus d’apprentissages ne diffèrent pas tant de ceux d’un enfant. Ce qui nous amène à la question : peut-on délibérément apprendre à un enfant à marcher ?
Il semblerait que non… Un enfant apprend à marcher seul, en assimilant petit à petit d’autres compétences – compétences que nous ignorons presque toujours, car nous nous focalisons uniquement sur la locomotion (LA marche). Pour marcher, un enfant doit d’abord être capable de développer une force suffisante dans ses membres inférieurs, de creuser son dos ou de soulever sa tête. Et c’est uniquement lorsque tous ces éléments sont en place que la marche se fait de manière spontanée…
Apprendre à réaliser un mouvement ou apprendre à grimper ?
Notre grande erreur est de vouloir sans cesse déconstruire le mouvement, plutôt que d’envisager notre corps dans sa globalité, au sein d’un environnement et dans un espace tridimensionnel. Habituellement, nous classons nos habiletés motrices en deux catégories distinctes1 : les habiletés ouvertes (l’environnement est variable et imprévisible pendant la durée de l’action, par ex. rouler en VTT) et les habiletés fermées (l’environnement est stable et prévisible : courir autour d’un stade).
Bien entendu, tout n’est pas si dichotomique, de nombreuses pratiques se trouvent entre ces deux extrémités. Selon les activités, nous devons être capables de répondre à des variations de l’environnement. Nos réponses sont alors étroitement liées à nos capacités de perception et à notre prise de décision, afin de pouvoir adapter nos actions à l’environnement changeant.
Pour en revenir à l’escalade, nous concevons bien trop souvent son apprentissage en deux temps : une acquisition des habiletés en milieu fermé (en salle sur des prises fluo…), avant de les mettre à l’épreuve en milieu ouvert (ou semi-ouvert). C’est donc dans un premier temps un apprentissage moteur, et une mise en situation ensuite. Pourtant, grimper c’est être capable de se mouvoir de manière fluide et efficace, ce qui ne nécessite pas seulement des caractéristiques physiques et motrices, mais aussi des capacités d’adaptation et de contrôle mental au travers de la gestion du risque et de la peur 2.
Si l’on suit l’approche classique : acquisition en milieu fermé → mise en situation en milieu ouvert, cela donne des schèmes moteurs adaptés à certaines situations, mais qui vous prennent au dépourvu lorsque vous êtes en situation de stress et que vous rencontrerez quelque chose d’inconnu ou de nouveau 3.
Vous allez apprendre à réaliser un mouvement, mais vous n’allez pas apprendre à grimper. Autrement dit, lors d’un essai à vue, 2 m au-dessus du point et sous pression, allez-vous essayer de jeter sur le bac que vous voyez un mètre au-dessus de vous, comme vous le faisiez dans l’atmosphère climatisée de la salle au dessus d’énormes matelas de réception ? Pas dit…
« C’est cette différence qui explique notamment pourquoi certain·e·s grimpeuses et grimpeurs de salle, pourtant très à l’aise sur la résine, sont très loin de transférer leurs aptitudes sur le caillou »
Une question de transfert
Le problème avec l’apprentissage du mouvement de manière contrôlée est donc bel et bien celui du transfert: le sujet peut éprouver une difficulté à prendre des initiatives, à grimper sans être dans le contrôle total du mouvement lorsqu’il est dans des situations nouvelles ou inconnues.
Tout vouloir contrôler, c’est perdre en autonomie. Or, un bon grimpeur (du moins à mes yeux), n’est pas celui qui enchaîne son projet après 200 essais. Un bon grimpeur est un grimpeur qui, naviguant à vue dans une voie inconnue, est capable de s’adapter : prise de décisions et de risque, gestuelle, créativité, rythme…
Enfin, il a récemment été montré que nos capacités d’adaptation en escalade sont davantage stimulées lorsque nous sommes exposés à une situation exigeante 4. Autrement dit, si vous espérez pouvoir transférer des compétences apprises dans des passages faciles, vous faites erreur.
Vous devez pratiquer dans des voies / blocs qui sont difficiles pour vous, mais pas impossibles ni trop faciles afin de développer votre « antifragilité ». L’antifragilité désigne une propriété des systèmes – physiques, biologiques, moteurs etc. – qui se renforcent lorsqu’ils sont exposés à des facteurs de stress, des chocs, des erreurs, des fautes, ou des échecs 5.
« Pour faire court, si vous essayez quelque chose de trop difficile, vous risquez d’avoir du mal, ou de vous faire mal. S’exercer dans un niveau approprié (ni trop dur, ni trop facile) vous permettra davantage de progresser »
Doit-on laisser tomber le travail de nos gammes techniques ?
Comme nous venons de le voir, les facultés d’adaptation décrites plus haut sont directement liées à la manière dont vous approchez les apprentissages, mais également à vos caractéristiques physiques et corporelles. Dit autrement, personne ne va vous apprendre à grimper, c’est à vous de trouver votre propre solution aux problèmes posés par la disposition des prises. Laissez émerger des solutions nouvelles. Ces solutions ne sont pas universelles, une méthode non plus. Vous ne pouvez pas grimper « comme les autres ». Mais vous pouvez grimper en respectant des contraintes qui sont directement liées à votre anatomie, à votre expérience et à vos sensations.
Pour certains grimpeurs, il peut être plus facile de jeter au sommet du bloc. Pour d’autres, ce sera de tenir ces infâmes réglettes et de charger une vilaine adhérence, les pieds dans les oreilles. Qu’est-ce qui différencie alors ces deux personnes ? On peut facilement comprendre que ce sont des questions morphologiques (taille), physiques (souplesse, force à doigt, explosivité), techniques (volonté de charger – ou non – une adhérence) et mentales (mouvement contrôlé vs mouvement aléatoire en jeté).
« Être un bon grimpeur c’est faire preuve d’une adaptabilité sans faille »3
Faire preuve d’adaptabilité, c’est être capable de trouver la solution aux problèmes posés par un passage. C’est donc une solution qui convient à votre forme physique, à vos compétences et à votre état d’esprit. Ce qui marche dépend uniquement du grimpeur… Apprenez à vous connaître et à connaître votre corps au travers de votre gestuelle.
Afin que vos apprentissages puissent être facilement transférables à la réalité de l’environnement en escalade (donc autre chose que des prises fluo et de l’air climatisé…), vous devez instaurer une large part d’incertitude et de situations vous demandant de vous adapter.
Apprendre, c’est d’abord se construire des représentations et ensuite développer des comportements. Lors des phases d’apprentissage, votre système nerveux central va procéder de manière permanente à de nouveaux paramétrages. La neuroplasticité de notre cerveau, qui désigne sa facilité à se reprogrammer constamment, à acquérir de nouvelles notions et à en effacer d’autres, nous montre que l’organisation d’un mouvement n’est jamais figée.
Dit comme cela, c’est plus ou moins incompréhensible, donc on fait comment ?
Cherchez à sentir le mouvement, plus qu’à le penser
Lors du travail d’une voie ou d’un bloc, soyez à l’écoute des petites subtilités de placement (placement des hanches, de vos doigts sur les prises, de la position de votre centre de gravité par rapport au mur, poussée symétrique ou non de vos jambes pour générer le mouvement, etc.). Construisez-vous un ensemble de feedback moteurs qui vous aideront par la suite à comprendre pourquoi vous réalisez parfaitement un mouvement. Plus que le geste à proprement parler, ce sont ces informations qui vous sont personnelles, et qui dépendent directement de vos capacités motrices et corporelles.
Exposez-vous à l’inconnu
Ce n’est donc pas directement le mouvement qui est important dans la réalisation d’un geste technique, mais la manière dont vous êtes capable de faire face aux contraintes fonctionnelles du mouvement à réaliser. Vous ne pouvez pas baser toute votre progression sur le contrôle conscient de l’action.
Comme nous l’avons vu plus haut, des prises de décision rapides vont influer directement sur vos résultats (d’un point de vue énergétique, vous ne pouvez rester suspendu aux prises pendant des heures). La prise de décision « instinctive » s’avère donc un choix judicieux (car plus rapide, donc plus efficace), et il faut trouver des moyens de s’y entraîner.
En pratique :
En vous exposant à différentes pratiques (bloc, grandes-voies, trad), en grimpant dans des styles d’escalade variées (dalle, dévers, fissures etc.), sur différents types de roche (grès, calacaire, granite), vous allez naturellement progresser. Les diversités de préhension, de texture, vous forceront à adapter votre lecture, votre gestuelle et la manière dont vous grimpez.
Enfin, la pratique à-vue (pratique en plein abandon, comme le soulignait P. Délas 6), de par les qualités qu’elle demande, reste donc particulièrement intéressante.
En salle, essayez des blocs / voies que vous ne connaissez pas, en instaurant certaines contraintes qui vont forcer votre capacité d’adaptation :
- Interdiction de désescalader
- Obligation de s’engager complètement dans les mouvements même quand vous pressentez que vous êtes « à l’envers »
- Défense de rester plus de 2 secondes sur une prise (obligation de se déplacer), escalade dans des styles que vous ne maîtrisez pas, escalade en dalle sans les mains, etc.
- Un jeu tout bête que j’aime bien faire quand je grimpe à vue à l’échauffement est de me dire : « dans cette longueur, je dois placer : une lolotte, un talon, une contre-pointe, un jeté et un genou »
En bref, exposez-vous à l’inconnu et au défi. Ce sont ces contraintes qui vont stimuler votre créativité et donc votre adaptabilité 7.
« C’est pourquoi vous allez sans cesse lire et entendre ici « pratiquez ».
C’est aussi simple que cela…
Pratiquez ! Explorez ! Jouez, échouez, réessayez ! »
Si vous êtes complètement débutant :
- La première compétence à acquérir est probablement de se défaire de l’habitude de nous juger constamment, ou de considérer une performance comme bonne ou mauvaise. Ce n’est que lorsque vous désapprendrez ce jugement constant que vous pourrez avoir une pratique spontanée. L’ego est un frein à nos apprentissages !
- Ensuite, apprenez en quoi consistent les mouvements basiques en escalade (c’est facile, il y en a peu : lolotte, drapeau, jetés… vous pouvez vous éviter le yaniro).
- Maintenant, comprenez les tenants et les aboutissants des mouvements en expérimentant par vous-même et en grimpant dans tous les styles (dalle, dévers, vertical, dièdre, fissures etc.)
- Essayez de ne pas grimpez de face.
- N’utilisez pas que la pointe de vos chaussons, mais toute leur surface : carres internes et externes, talons, contrepointes, adhérences etc.
- « Monte tes pieds » est probablement le conseil que vous entendrez le plus en salle. Alors oui, je monte mes pieds, mais après ? Plus que de simplement monter vos pieds, vous voulez apprendre à grimper avec ces derniers. Pourquoi monter ses pieds ? Parce que vous voulez déplacer votre centre de gravité vers le haut !
- Parallèlement, grimper avec ses pieds, c’est voir plus loin que simplement l’action de poussée que peuvent réaliser nos membres inférieurs. Grimper avec ses pieds c’est comprendre que ces derniers peuvent avoir une fonction de stabilisation (talons, contre-pointes) ou de traction (griffés de pieds, talons et contre-pointes). Regardez Charles Albert grimper et vous allez facilement comprendre une des raisons pour laquelle sa gestuelle est si pure : plutôt que de pousser sur ses jambes et tirer sur ses bras, il utilise ses quatre membres pour déplacer son centre de gravité. Ce qui, en gros, le rend deux fois plus efficace que la majeure partie d’entre-nous…
- Cherchez ensuite à percevoir votre corps dans l’espace : position de votre centre de gravité, placement de vos hanches pour l’équilibre. Si vous aimez l’aventure, bandez-vous les yeux…
- Apprenez à utiliser vos hanches pour générer le mouvement plutôt que vos bras. Ne grimpez pas bras complètement tendus, ni complètement fermés.
- Pour générer l’équilibre, cherchez à vous représenter votre corps à l’intérieur d’un carré ou d’un triangle. Les prises ne sont pas forcément mauvaises, elles le sont selon comment vous êtes placé par rapport à elles. Les Américains parlent de « box theory ». Coup de bol, voilà une vidéo qui vous expliquera mieux que n’importe quel texte de quoi il est question.
Comme expliqué plus haut, une fois que vous posséderez ces bases, vous devez éprouver ces acquisitions et expérimentez en situation réelle !
Avez-vous déjà regardé des enfants dans une salle d’escalade ? Ils ne grimpent pas, ils jouent et expérimentent sans aucune notion de réussite. Ils utilisent l’espace et les matelas comme autant de jeux. Sautent, rebondissent (hurlent aussi…) et conçoivent leur corps dans un espace tridimensionnel.
Vous voulez développer votre capacité au jeu, indépendamment du résultat. Et un jeu trop facile (ou trop difficile) n’est jamais intéressant…
« En résumé, pour progresser en escalade,
il nous faut perdre notre sérieux et retrouver notre âme d’enfant ! »
- Schmidt, R.A. « Apprentissage moteur et performance », 1993
- Udo Neumann, « Ideas to improve your climbing », Vimeo, 2019
- https://medium.com/klettertraining-in-english/ideas-to-improve-your-climbing-pt-2-adaptability-f421412ef166
- Hill, Yannick & Kiefer, Adam & Silva, Paula & Van Yperen, Nico & Meijer, Rob & Den Hartigh, Ruud. (2020). Antifragility in Climbing: Determining Optimal Stress Loads for Athletic Performance Training. Frontiers in Psychology
- Taleb N. (2012). Antifragile: Things that Gain From Disorder (Incerto). New York, NY: Random House
- http://fanatic-climbing.com/ou-est-passe-le-a-vue-what-happened-to-onsighting/
- Kiefer A., Hill Y., Silva P. L., Harrison H. S., Araújo D. (2018). Antifragility in sport : leveraging adversity to enhance performance. Sport Exerc. Perform. Psychol.